•  

    Le Trésor du Dragon

    Tout dragon n'est pas cupide. Mais il en fut un particulièrement attiré par l'or et les pierres précieuses.

     

    Grand et puissant, son don pour la magie faisait bien des envieux. Pourtant, le dragon Noroi n'était pas heureux. Tous ceux de son espèce qui vivaient encore étaient parés de bleu, de rouge, de vert, d'orange, d'ivoire, de bronze, d'argent ou d'or. Leurs écailles brillaient de mille feux quand ils se prélassaient au soleil. Mais Noroi, à son grand désespoir, était d'un gris terne. Et malgré toute sa magie, il ne pouvait défaire ce que la nature lui avait donné : ses écailles restaient désespérément mornes, sans aucun éclat.

     

    Alors, pour être aussi magnifique et grandiose que ses compagnons, Noroi décida de s'habiller d'or et d'argent, de rubis et d'émeraudes, de saphirs et de diamants. Au fil des années, il amassa tant de trésors qu'il ne put tout porter. Gardant une armure étincelante pour cacher ses écailles blafardes, il se délesta au fur et à mesure de ses richesses, les dissimulant aux yeux de tous au fin fond d'une caverne, voilée par une gigantesque cascade et protégée par ses sortilèges et enchantements. Nul ne pouvait y pénétrer sans que Noroi le Flamboyant ne le sache.

     

    Mais, un jour, quatre pilleurs inconscients vinrent à lui, attirés par les contes et les légendes décrivant des montagnes et des montagnes d'or, à la seule et unique garde d'un squelette gigantesque. Oui, un squelette. Car cela faisant tant d'années que le Dragon Flamboyant n'était pas sorti de sa tanière que tous le crurent mort. Mais il n'en était rien. Plongé dans un sommeil profond, Noroi demeurait maître de ses trésors. Et lorsqu'il sentit la présence des quatre hommes, il sortit du royaume des rêves dans lequel il s'était plongé avec allégresse. Il se redressa de toute sa hauteur, sa plus grande honte enfouit sous une épaisse carapace de bijoux et d'or.

     

    Quelle ne fût pas la surprise des pilleurs lorsqu'ils firent face à la créature !

     

    Mais, au lieu de punir ces importuns comme il aurait pu aisément le faire d'une seule de ses griffes, Noroi préféra les soumettre à un jeu : le Dragon Flamboyant s'ennuyait dans sa forteresse d'argent. Les années passaient sans que rien ni personne ne vienne à sa rencontre. Pas même ses propres compagnons. Car, alors qu'il s'était profondément endormi, le Roi Dragon était mort, et la haine s'était déversée dans le cœur des hommes. Les dragons n'étaient plus respectés, ils étaient craints, et détestés. Mais ceci est une autre histoire...

     

    Les quatre hommes furent étonnés de la proposition du dragon.

     

     

     

    « Un jeu ? Mais quel sorte de jeu ? Est-ce une manière de mieux tromper notre vigilance pour ensuite nous pourfendre de l'une de tes griffes d'acier ? »

     

     

     

    Le rire de Noroi fit trembler la grotte dans laquelle il s'était retiré. Apeurés, les hommes sortirent lances et boucliers, prêts à combattre l'immense créature. Mais le Dragon Flamboyant ne leur en tint par rigueur : il savait que ces petits êtres prenaient facilement peur. De sa voix la plus douce et rassurante, il leur expliqua simplement :

     

     

     

    « Chers humains. Je suis ici depuis maintes années. Il y a bien longtemps de cela que je me suis assoupi dans cette caverne, au milieu de mes trésors. Mais en entrant ici, vous m'avez réveillé. Et je me suis alors aperçu que je mourais d'ennui. Votre présence m'enchante, et sachez que je ne vous ferai aucun mal, tant que vous ne me donnerez pas de raison de mettre fin à vos destins. Rangez vos armes, vous avez ma parole. »

     

     

     

    Après une longue hésitation, les pilleurs finirent par rengainer leurs armes et demandèrent à Noroi ce qu'il voulait. Celui-ci leur proposa un marché qui les ravirait tous. Il leur promit que la récompense serait à la hauteur de leurs espérances : une bonne réponse à l'une de ses devinettes et ils seraient gratifiés d'un coffre de pierres précieuses, d'argent et d'or.

     

     

     

    « Et si nous ne trouvons pas la juste réponse ? »

     

     

     

    « Alors vous partirez avec ce que vous aurez dûment gagné. »

     

     

     

    Les quatre hommes se concertèrent d'un rapide coup d’œil. Leur métier, si tant est qu'on puisse appeler ça un métier, exigeait réflexion et agilité d'esprit. Quelques devinettes ne devraient pas leur poser de problème. Leur chef acquiesça, et ils attendirent la première énigme.

     

     

     

    « Il est devant vous, vous le construisez sans même le savoir et de lui vous ne verrez que vos propres actions. »

     

     

     

    L'un des pilleurs trouva sans problème la réponse à la devinette : leur avenir leur tendait les bras, mais chacun d'entre eux n'en verraient que ce qu'ils en auraient fait. Comme promit, Noroi fit glisser un coffre vers les bandits, tellement rempli de richesses qu'ils pouvaient à peine le fermer.

     

    N'en croyant pas leurs yeux, les quatre hommes plongèrent avidement leurs mains dans les pièces d'or et d'argent. À peine eurent-ils goûté au trésor qu'ils en demandèrent encore.

     

     

     

    « Je peux tuer, mais également protéger. Je peux être le doux cocon d'un nouveau-né, mais également être la source d'un mal qui détruit tout ce qui peut brûler. »

     

     

     

    Le bois des armes et des boucliers, le bois du berceau et des torches enflammées. Le bois fût la réponse correcte et un nouveau coffre tout aussi plein glissa jusqu'aux hommes, qui ne pouvaient plus s'arrêter là.

     

     

     

    « Elle est l'une des plus grandes peur des êtres mortels. Elle décime les peuples, le bétail et les récoltes. Nul ne peut la prévoir, et l'arrêter n'est pas chose aisée. »

     

     

     

    Le chef des pilleurs pensa d'abord à la mort. Mais nul ne peut stopper la Grande Dame. Il réfléchit encore, sous le regard amusé de Noroi qui attendait patiemment sa réponse. Ses yeux ne trahirent aucune déception, bien au contraire, quand l'homme lui répondit : la maladie.

     

    Bien des coffres d'or arrivèrent aux pieds des pilleurs, les rendant plus riches encore que n'importe lequel des seigneurs de tous les royaumes. Le Dragon Flamboyant crut qu'ils allaient repartirent avec leur butin. Mais à son grand étonnement, ils n'en firent rien. Ils quémandèrent une nouvelle énigme. À cela Noroi répondit :

     

     

     

    « Vous êtes enseveli sous des collines d'or. Qu'allez vous faire de votre richesse ? »

     

     

     

    « Ce que nous allons en faire t'importe peu ! Et ne soit pas avare, nous voyons bien qu'il te reste des montagnes de trésors ! »

     

     

     

    Le dragon insista, curieux de savoir ce que ces quatre hommes allaient réaliser avec leurs coffres de pierreries. La créature ne pouvait pas leur reprocher d'en dépenser un grande partie, même s'il ne pouvait concevoir comment, tant la somme était grande. Lui même n'avait jamais pensé à ce qu'il pouvait en faire. C'est ce qu'il avait réalisé, confronté aux pilleurs. Son trésor n'était pour lui qu'une montagne brillante avec laquelle il pouvait cacher ses affreuses écailles. Il ne voyait en l'or qu'une matière brillante et chatoyante. De même pour toutes les pierres précieuses qui paraient son cuir. Jamais il n'avait eut la même vision des Hommes.

     

    Par les yeux d'un Nain, il ne vit que l'amour de la création et de l'art. Dans le cœur d'un Elfe, il ne ressentit que de l'indifférence. Tentant tant bien que mal de réfléchir comme un Homme, le Dragon Flamboyant finit par entrapercevoir une utilité à toutes ces richesses... Dans ses lointains souvenirs, les Rois et les Reines des Hommes étaient sages. Leur or servait le peuple, même s'ils en utilisaient une partie pour se parer tout comme lui de magnifiques toilettes.

     

    Décidant que cet or n'avait de meilleur destin que d'aider le peuple des Hommes, Noroi attendit la réponse du chef des pilleurs. Mais bien qu'il n'en eut pas encore conscience, le dragon avait scellé le destin de ces hommes...

     

     

     

    « Nous allons la boire ! La dépenser en femmes et en vêtements de soie et de fils d'or ! Nous allons acheter des terres, et des esclaves pour bâtir notre propre empire ! Et nous mettrons à genoux le Roi de nos contrées ! »

     

     

     

    Le Dragon Flamboyant ferma les yeux, déçu de cette réponse. Pourtant, il leur soumit une dernière énigme. S'ils y répondaient correctement, le dragon consentirait à les chasser sans les maudire. Par contre, s'ils se trompaient... alors il les punirait d'un sort bien pire que la mort.

     

     

     

    « J'ai tourné la tête à bien des hommes et détruit bien des royaumes. Et je serai votre perte à tous »

     

     

     

    En énonçant sa dernière énigme, Noroi avait pris une voix grave et menaçante. De longs frissons agitèrent les pilleurs qui ne comprirent pas que la dernière phrase leur était adressée.

     

    Les sens engourdis par le soif d'or, ils donnèrent le premier mot qui leur passa par la tête.

     

     

     

    « Hélas non, humains. Vous êtes dans l'erreur. »

     

     

     

    Les hommes, furieux, brandirent leurs armes, crièrent, hurlèrent à l'injustice et à la duperie, réclamèrent leur récompense. Alors Noroi se dressa devant ces êtres cupides et tonna d'une voix puissante qui fit trembler la roche :

     

     

     

    « L'avidité ! Elle vous ronge ! Vous auriez pu repartir avec votre or. Partager cette richesse avec votre famille, vos amis, vos aimées. Mais vous avez préféré me défier une nouvelle fois, osant réclamer encore plus que vous n'aviez déjà. Quelle horreur m'a transpercé le cœur quand j'ai compris que vous n'étiez que cupidité et avarice. N'avez-vous pas la moindre once de charité en vous ? Je vois bien que non. Alors je n'en aurai pas plus ! Je vous condamne à une vie éternelle, ainsi vous pourrez amasser autant de richesses que vous le voudrez. Mais jamais plus vous ne goûterez aux plaisirs simples de la vie. Jamais plus le soleil ne vous caressera sans vous brûler. Jamais plus vous ne pourrez vous remplir de mets raffinés sans encore ressentir la faim. Jamais plus vous ne pourrez aimer sans blesser. Votre baiser sera une plaie lancinante inguérissable et quiconque vous comprendra souffrira du même funeste destin qu'est le vôtre. Je vous condamne tous à une vie riche et solitaire. Maintenant, partez avec votre or et ne revenez pas, ou vous subirez mon courroux ! »

     

     

     

    D'un rugissement embrasé, le Dragon Flamboyant fit fuir les importuns. Alourdit par leur or, l'un d'eux tomba dans la rivière et se noya. Les autres s'enfuirent à toutes jambes dans la nuit tombée.

     

    Mais déjà leur corps subissait les effets de la malédiction de Noroi. Quand ils eurent soif, aucune eau ne put les désaltérer. Quand ils eurent faim, aucune nourriture ne put les rassasier. Quand le soleil se leva et qu'ils y recherchèrent un peu de chaleur, les rayons leur brûlèrent la peau. Les femmes qu'ils connurent les fuirent, et celles qui restèrent à leurs côtés périrent.

     

     

     

    Noroi le Flamboyant les avait condamné à errer, à jamais seuls dans les ténèbres de leur bêtise et de leur cupidité.

     

    Et depuis, on raconte que de sombres créatures rôdent dans la nuit, attaquant hommes, femmes et enfants s'aventurant seuls dans les bois. Le matin, leurs cadavres sont découverts, dépourvus de la moindre goutte de sang.

     

     

     

     

     

     

     

    « La Solitude des Mondes

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :