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    Le Roi Mage fou et le Dragon Sanglant

     

    Thomas Bergersen – Heart >

     

     

    Au temps jadis existait une créature fabuleuse, immensité de grandeur et de puissance. Sa chair et son sang avaient été taillés dans la magie, et rien au monde n'avait plus de pouvoirs que lui. Nommé le Roi Dragon par les premiers hommes ayant eut le privilège de le contempler, tous le respectait. Les dragons eux-mêmes lui vouaient une déférence pleine d'humilité.

    Sa taille n'avait d'égale que les montagnes et les pics de glace. Ses griffes étaient pareilles à deux hommes, et ses ailes déployées privaient de soleil des villages entiers. Ses écailles avaient la noirceur d'une nuit sans lune, mais à la lumière du soleil son cuir rougeoyait, hypnotisant les plus irrévérencieux.

    Oui, le Roi Dragon était majestueux, magnifique, puissant. Mais il était également sage. Bien plus sage que la plupart des Hommes, des Nains ou même des Elfes. Le pouvoir pouvait corrompre n'importe quelle créature, mais le Roi Dragon était au-delà de toutes bassesses. Il fut écrit que des Rois de tous les peuples vinrent lui demander conseil. Chacun d'entre eux fut avisé et tous conduisirent à la paix et à la prospérité.

    La créature aimait la vie et respectait la mort. La haine semblait ne jamais l'atteindre, pas plus que la colère. Ces sentiments lui étaient totalement étrangers. D'aucuns prétendirent que le dragon se considérait trop vieux et trop grand pour s'adonner à la rage et à la destruction.

     

    Malheureusement, toute époque a une fin. Tout être rencontre un jour ou l'autre la Mort. Et l'Ère du Roi Dragon se termina dans le sang et les larmes.

     

    Un jour funeste, le Roi vertueux et raisonnable qui gouvernait les Hommes mourut de vieillesse. Son trépas chagrina tous les peuples, mais il fallait trouver un nouveau monarque. Les regards se tournèrent vers un jeune mage, plein de bonne volonté et de courage. Sa magie était puissante et il s'en servait avec modération. Il représentait le nouveau Roi idéal, redoutable mais juste.

    Hélas, le cœur d'un homme était autrement plus corruptible que celui d'un dragon. Quand il fut assis sur le trône... toute sa simplicité et sa modestie s'évanouirent.

    Commença alors une ère nouvelle, une ère de douleur, de tristesse, tyrannie. Les peuples se déchirèrent, les Hommes se désunirent et entrèrent en guerre contre les Elfes.

    Le Roi Mage, ou le Roi de Sang et de Larmes comme ses sujets l'appelaient, fut la cible de nombreux assassins. Il s'enferma alors dans une spirale de paranoïa qui le conduisit à la folie. Dans sa démence, il crut voir un signe, un présage de mauvais augure. Il vit le Roi Dragon lui usurper le trône et drainer tout son pouvoir, toute sa magie, alors que tous savaient que la créature n'avait cure d'une couronne, et qu'il n'avait guère besoin de magie.

    Et malgré toutes les protestations, tous les soulèvements de son peuple, le Roi Mage fit lever une armée vers le Pic Céleste, demeure du Dragon.

    Désolé de voir tant de morts, tant de carnages, tant de vies innocentes brisées, le Roi Dragon se laissa transpercer, noyer par des sortilèges tous plus mortels les uns que les autres. Mais rien n'y fit. Aucune lance, si tranchante soit elle, ne réussit à pénétrer son cuir. Aucun sort, si aiguisé soit il, ne lui fit le moindre effet.

    Alors le Dragon prononça une sentence qu'il crut capable de sortir le Roi de sa folie meurtrière.

    « Mon sang et ma chair ont été taillé dans la magie par la magie. Seulement elle peut me défaire. Dix milles hommes, femmes et enfants pourront me détruire à jamais. Seules leurs vies innocentes liées à moi par la magie mettront fin à ma vie. Seuls leurs sacrifices me feront passer de vie à trépas. ».

    La créature pensait que cela suffirait à faire renoncer le Roi de Sang et de Larmes. Mais, pour la première fois de sa longue vie... il eut tort.

     

    Quand le Roi Dragon sentit qu'on liait des centaines et des centaines de vies à lui, à sa chair et à son sang, des larmes coulèrent de ses yeux de feu. En tombant sur le sol, elles se cristallisèrent peu à peu, créant alors les joyaux les plus purs de cette terre.

    Le Dragon ne fuit pas pour des terres plus clémentes, mais resta dans sa forteresse de tristesse et de désespoir, attendant que la Mort vienne à lui.

     

    Lorsque dix milles hommes, femmes et enfants furent enchaînés à lui, le Roi Mage se tint devant la majestueuse créature. Un rire dément résonna alors sur les forêts et les champs, sur les rivières et les plaines.

     

    « Tu as perdu, immonde créature ! Contemple ton maître et meurt dans la souffrance et le désespoir !»

     

    Le Roi Dragon posa son regard empli de tristesse sur le mage. Le seul regret qui flottait dans ses yeux flamboyants, était d'avoir prononcé les mots qui tueraient d'innombrables innocents. Car malgré toute sa puissance, il ne pouvait défaire ces si funestes liens. Les mages qu'on avait attaché à sa vie étaient devenus démons. Sa propre puissance avait déferlé en eux et les avait rendu fous de douleur. Dans son cœur, il ressentait toute la peine, toute la peur de ces pauvres êtres. Et dans leur mort, ils emporteraient la magie du Dragon, le réduisant alors à néant.

    Quand le Roi Dragon ouvrit sa gueule où brûlait un brasier éternel, ce ne fut pas un cri de haine qui déchira le silence, mais une voix calme, posée, aussi douce et chaude qu'une brise d'été. Pleine de pitié.

     

    « Roi Mage, tu es devenu fou. L'ivresse de la puissance et du pouvoir t'a conduit à la folie. Regarde maintenant le désastre que tu as déclenché. Ne vois-tu pas la souffrance et la guerre à tes pieds, le sang sur tes mains ? N'entends-tu pas les cris d'agonie de toutes ces nobles créatures que tu as jadis appelé frères et sœurs ? Me tuer ne pourra guérir cette terre qui sera à jamais souillée par ta colère et ta haine aveugles. Rien de bon ne découlera de mon trépas. Je ne me vengerai pas, mais sache que la nature et la magie ne laisseront pas tes crimes impunis. Puisse la Mort te faucher rapidement, Roi de Sang et de Larmes, Roi Mage fou. Que ta folie n’entraîne plus la moindre vie dans son sillage. »

     

    Une fois son dernier mot prononcé, la vie s'échappa de la plus majestueuse et sage des créatures ayant foulé cette terre. Le Roi Dragon était mort.

     

    Cependant, la légende n'est pas terminée. Pas encore. Car le Roi Dragon avait raison : la magie avait sa propre volonté et n'allait pas laisser ce meurtre odieux être accepté et oublié de tous.

     

    On dit que les dragons sortent d’œufs gigantesques, cachés au tréfonds des montagnes. Mais ces créatures magiques naissent également de la mort de l'un des leurs.

     

    Du trépas du Roi Dragon naquirent deux êtres, l'un aussi noir que les ténèbres de cette époque, l'autre aussi rouge que le sang versé des innocents.

     

    Le peu de magie qui coulait déjà dans leurs veines était déjà plus grande que celle du Roi Mage. Et la haine tapie dans leurs cœurs n'avait d'égale que leur soif de vengeance.

    Les deux créatures ailées se lièrent à des mages par le même rituel sanglant qui avait tué tant d'innocents. Mais contre toute attente, ce lien ne fit que renforcer la puissance des mages, qui gardèrent leur raison et leur conscience.

    Et forts de ce nouveau don, les mages attaquèrent la forteresse du Roi Mage. Et le tuèrent.

     

    Malheureusement, la soif de vengeance du Dragon Noir et du Dragon Rouge était loin d'être assouvie.

     

    Ils mirent les villes à feu et à sang, pour punir la lâcheté et la cruauté des Hommes. Dans leurs cœurs et jusqu'au plus profond de leurs âmes, tous étaient responsables de la mort du Roi Dragon. Ils n'avaient rien fait pour l'empêcher, ils étaient donc autant coupables que le Roi Mage fou.

     

    Après bien des années de terreur, le Dragon Noir ressentit quelque chose au fond de son cœur. De la pitié. Quand il comprit enfin l'horreur de ses actes, il s'envola loin des massacres et se terra au cœur des Pics Éternels, y emportant toute sa honte et sa peine.

    Une fois seul, le Dragon Rouge fut débordé par les ripostes des Hommes. Et quand les Elfes, qui s'étaient détournés de ce peuple de longues années auparavant, vinrent en aide aux Hommes, le Dragon Rouge s'enfuit à son tour, plein de rancœur, promettant qu'un jour il reviendrait et terminerait son œuvre.

     

    Dans leur vengeance, les dragons avaient insufflé la haine dans le cœur des Hommes. Plus jamais ces nobles créatures ne furent respectées. Plus jamais les Rois ne vinrent à eux pour écouter leurs conseils. Ils furent chassés et persécutés à leur tour. Et quiconque était lié à eux était haï et banni.

     

    Depuis cette funeste époque, le Roi Dragon, cette noble créature de magie pure, fut connue sous le nom de Dragon Sanglant. On oublia sa sagesse, on oublia son amour et son respect de la vie. Aux yeux des Hommes il n'était plus qu'un monstre vengeur au sombre héritage.


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  • La Grande Dame

     

    Il existe des choses qui sont invisibles à nos yeux. Même si nous mettons toute notre volonté, toute notre ardeur à tenter d'en percer les énigmes, elles demeurent secrètes. Mais pas pour tous...

    Car ces mystères cachés à notre cœur ne le sont pas pour les dragons. Leur magie leur permet de contempler tout ce qui existe, tout ce qui vit, tout ce qui erre. Et de toutes ces majestueuses créatures, Qaletaga était celle qui avait tout vu, tout vécu, tout ressenti. Sa longévité dépassait même celle du Roi Dragon.

    Mais Qaletaga la Terrible ne s'intéressait pas à ce monde. Elle avait trop vécu. Plus rien ne la surprenait parmi les vivants. Par contre, elle chérissait celui des morts. Les âmes des défunts ne cessaient d'alimenter sa curiosité pour cette race si faible, si chétive. Leur amour, leur haine, leurs désirs transcendaient même la mort.

     

    Malgré tout, chez les vivants, il en fut un qui l'impressionna particulièrement. Une femme jeune et resplendissante, maîtresse d'un puissant seigneur. La richesse la paraît d'or et son avenir semblait radieux. Pourtant, Qaletaga lut son cœur : cette femme était malheureuse comme la pierre. Son maître ne la désirait que pour sa jeunesse et sa beauté. Mais elle savait qu'elle allait vieillir. Et quand apparaîtraient ses premières rides, qu'allait-elle devenir ? Serait-elle rejetée comme une catin ? Allait-elle être réduite à vendre son corps, et à mourir dans la souffrance et le déshonneur ? Voilà toutes les questions qui hantaient son esprit, rongé lentement, doucement par l'incertitude.

    La Terrible s'amusa à voir cette grande Dame sombrer dans la paranoïa. Toutes les jeunes filles sortant à peine de l'adolescence étaient des ennemies pour sa place, sa situation. Elle ne cessait de prendre infusions, décoctions, herbes médicinales et de brouiller sa peau de maintes et maintes poudres et pâtes. Et son désir d'or était de plus en plus grand. Sans cesse elle réclamait bijoux et belles toilettes. Tant qu'elle était jeune et fraîche, le seigneur cédait au moindre de ses caprices. Mais le temps passant, il devenait de moins en moins généreux envers sa maîtresse. Alors la Dame redoublait de peines pour resplendir et plaire à son maître.

    Sa peur de vieillir pauvre en devenait comique et Qaletaga se délectait du spectacle. Voir tous ces efforts déployés en vain lui rappelait à quel point les humains pouvaient être stupides et vaniteux. Mais elle n'avait pu prédire ce que la Dame s'apprêtait à faire...

     

    Dans sa trop longue vie, la Dragonne Terrible avait maintes fois assisté à d'innommables cruautés. Mais cette fois-ci, elle savait qu'elle allait devoir jouer un rôle... de gré ou de force, en bien ou en mal, elle n'aurait pu le prévoir.

     

    Dès que le seigneur posait ses yeux sur une femme plus jeune... sans la moindre once d'hésitation, la Dame fauchait la vie de ces pauvres fillettes. Et Qaletaga savait qu'elle ne regrettait pas. Aucun remords ne la rongeait de l'intérieur. Seule la satisfaction vibrait dans son petit cœur, sec et flétrit par la jalousie, la haine et la rancœur.

     

    Qaletaga était las de toute ceci. Les meurtres, les guerres, les assassinats, les parricides et fratricides, elle en avait tellement vu ! Son cœur resta de glace.

    Malgré son indifférence froide et sans pitié, la Terrible ne pouvait rester sourde aux appels des âmes en peine, qui hurlaient leur chagrin et leur haine. Les jeunes filles ainsi tuées réclamaient la mort par l'épée de cette félonne assoiffée de pouvoir et d'autorité. Par les nuits chaudes ou glacées, les âmes erraient dans les bois et parfois même s'aventuraient dans la ville parmi ceux qui furent les leurs. Effroyable rencontre que celle d'un esprit vengeur... Qaletaga avait beau les chasser et tenter de les apaiser, ces âmes jamais ne trouvaient la paix. Sans cesse tourmentée, son cœur petit à petit s'emplit d'aigreur. Toutes ces jeunes filles ne souhaitaient qu'une seule chose : que les crimes de la Dame prennent fin et qu'ainsi leurs mémoires soient vengées. Mais la vieille dragonne ne pouvait leur accorder ce vœu... du moins, le croyait-elle jusqu'à ce que la Dame ne se présente à elle par une froide nuit d'hiver.

    À cet instant, la fureur embrasa l'esprit de Qaletaga. Jamais une telle créature ne lui avait autant causé de peine ni n'avait demandé son aide. Cet affront fit couler la colère en ses veines. La simple idée qu'un humain requérait sa puissance pour de telles ignominies la rendait malade et folle de rage.

    La Terrible n'était pas connue pour sa sagesse ou sa pitié. C'était bien sa haine farouche des lâches et des traîtres qui partout faisait trembler.

     

    Ce fut en sentant la Dame pénétrer en son antre Qaletaga sut enfin quel rôle elle jouerait dans cette immonde farce. Un rôle parfait. Un rôle de toute puissance. Enfin elle allait pouvoir libérer ces âmes des chaînes de haine et de rancœur qui les emprisonnaient ici-bas: la punition était sa décision.

    Alors que la folie de la Dame la poussait à ordonner à Qaletaga de la rendre immortelle sous couvert de vaines paroles, la dragonne gronda, ne pouvant en entendre plus du serpent qui dansait devant elle.

     

    « Tais-toi, vile vipère ! »

     

    Sa voix résonna comme le tonnerre dans la nuit noire. Des sueurs froides coulèrent dans le dos de la Dame qui cherchant à reculer, trébucha et tomba entre les griffes de Qaletaga. De toute sa hauteur elle se redressa, et de ses ailes elle les enveloppa, défiant la Dame de chercher à s'enfuir.

     

    « Toi qui aime tant couper ces longs fils de vie et de sang, reliés à vos cœurs et vos sentiments, vos âmes et vos espoirs déments. Toi qui aime tant ta beauté et ta prestance, ta jeunesse et ta puissance. Toi qui a fauché tant de vies innocentes. Je te promets de réaliser ton rêve le plus vivace de ton esprit pugnace. Ta peau restera fraîche et douce comme celle d'un enfant, ton corps restera fort et ferme, ton esprit restera vif et brillant. Pour toujours tu resteras sur ces Terres, jusqu'à ce que la désolation les emporte. Mais à jamais tu seras seule. Seule avec ta haine et ton esprit belliqueux. Seule parmi les tiens, incapable de les toucher, incapable de t'en faire entendre, incapable d'attirer leur attention. Tu demeurera invisible aux cœurs de ceux que tu appelais frères et sœurs. Tu deviendras la Grande Dame de ces Terres et tu erreras jusqu'à la fin. Je te condamne à l'éternité et plus encore, je te condamne à une sempiternelle solitude. Tu régneras sur les âmes perdues, je te l'ordonne. Tu seras celle qui fauche la vie des mourants, qu'ils soient jeunes ou vieux, que leur mort soit par la guerre ou la maladie. Toi qui déteste tant les vivants, je t'ordonne de les guider dans leur mort jusqu'à ce que leur âme torturée retrouve la paix. Tu seras la Dame, la Faucheuse immortelle, l'incarnation de la Mort invincible.»

     

    La Dame pleura, implora la pitié de l'immense créature aux infinis pouvoirs. Milles et unes excuses jaillirent de sa bouche menteuse. Sa langue de vipère claqua derrière ses dents, promettant tout et rien à la fois pour échapper à cette sinistre malédiction.

     

    « Je ferai tout ce que vous voudrez ! »

     

    Alors que Qaletaga s'apprêtait à disparaître dans les ténèbres, ce hurlement de désespoir l'arrêta. Ses crocs luisirent dans la pénombre. Si la Dame avait été alerte, elle aurait compris que la dragonne ne reviendrait jamais sur sa malédiction. Elle aurait su que rien ni personne ne pourrait défaire ses mots. Mais un espoir nouveau chamboula son cœur quand la dragonne se retourna, lui faisant une nouvelle fois face.

     

    « Ce que je souhaite, perfide humaine... Ce que je souhaite que tu fasses, ce que je désire ardemment... est que tu rentres chez toi. Que tu rentres chez toi et que tu demandes audience. Que tu demandes audience devant toute ta misérable petite ville. Et que devant toutes ces âmes pures et innocentes, je veux que tu étales la noirceur de ton cœur. Je veux que tu avoues tes crimes. Je veux que tu sois jugée par ton peuple pour tes crimes. Je veux que tu meures devant eux pour tes crimes. Alors seulement à cet instant précis, quand la mort s'abattra sur ta pauvre existence... je te libérerai de ta malédiction. Refuse, et tu connaîtras la solitude éternelle. »

     

    Qaletaga s'enveloppa de ténèbres et disparut.

    Elle savait déjà quelle crainte étouffait la Dame. La dragonne ne lui aurait pas offert le choix de rédemption si elle avait eu le moindre doute. Dans sa longue vie, elle avait appris et, bien malgré elle, étudié le cœur et l'esprit de ces fragiles créatures.

    La Dame était terrorisée par la vieillesse, et plus encore par la mort. Elle savait à quoi ressemblait la mort, mais elle ignorait à quel point la malédiction pouvait être pire, bien pire.

     

    Alors elle n'obéît pas.

    La Dame ne mourut pas. La Dame ne vécut pas non plus.

    La Dame resta jeune et belle. Mais plus personne ne la contempla, plus personne ne la complimenta.

    La Dame était seule. Seule avec les âmes des morts. Seule avec son cœur noir et son désespoir.

     

     


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  • La Solitude des Mondes

     

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    City Of The Fallen – Sky Becomes Water

     

    Il y a bien longtemps, alors que la Terre n'était qu'eau et verdure, plaines et forêts, montagnes et falaises, qu'aucun homme n'avait encore laissé son empreinte, la Mère des Mères s'ennuyait. Oh, elle n'était pas peu fière de sa création. Elle aimait profondément les merveilles auxquelles elle avait donné vie. Ses promenades dans ses belles forêts la remplissait toujours de joie. En admirer la faune lui réchauffait toujours autant le coeur. Mais peu à peu la lassitude avait envahi Kosmos, lentement, insidieusement. Personne n'était là pour regarder grandir et s'émerveiller de ce monde que sa magie avait façonné.

    Alors il lui vint une idée. Une idée qui effacerait son ennui et sa morosité. Elle rassembla sa puissance et sa magie, les grandit, les magnifia. De là naquit trois êtres grandioses, aux écailles étincelantes et chatoyantes, aux ailes magnifiques et aux yeux brillants de sagesse. Ce furent les premiers dragons que vit le monde. Son monde.

    Kosmos retrouva alors sa gaieté et sa curiosité, pouvant alors l'exprimer et la partager avec ses trois nouveaux compagnons qui l'écoutaient, découvraient à leur tour ce monde magique.

    Comme tout enfant cherche à plaire à ses parents, chacun d'entre eux, pour l'impressionner, lui firent un cadeau qui ne cesserait de l'enthousiasmer.

    À l'image de Kosmos, l'ainée des trois créa de petits êtres, aux grands yeux pétillants, qui respiraient la joie et l'innocence. Des enfants, frêles et fragiles, mais aussi purs que les neiges éternelles.

    La Mère des Mères fut surprise et touchée, riant et s'amusant de ces petites choses qui gambadaient dans son monde. C'est alors que Headus, le dernier né des dragons, s'écria:

     

    "Comment de si petits êtres peuvent-ils se défendrent contre ce monde si grand, où mille et un dangers les guettent, et que d'une chute, d'un coup de griffes ou de crocs, saisissent leur vie pour ne jamais la leur rendre ? Comment de si petites choses peuvent-elles survivre, alors qu'ils sont inconscients des risques d'une vie insouciante ? Qu'ils ne peuvent prendre le temps de songer aux dangers, trop occupés à jouer et à s'amuser ? Qaletaga, y as-tu seulement pensé ?"

     

    Ainsi virent le jour les hommes et les femmes, grands et forts, à l'intelligence accrue et aux sens aiguisés, à l'esprit plus retord et plus malin. Leur devoir était de protéger l'innocence des enfants et de les préserver du danger qu'un loup affamé pouvait représenter.

    Kosmos regarda alors avec émerveillement les Hommes prospérer et leur peuple grandir à vue d'oeil. Leur ingéniosité l'impressionnait. Jamais à court d'idées, ils ne cessaient d'attiser sa curiosité. Bientôt, des villages se construisirent. Puis des villes et d'immenses cités grandioses se dressèrent.

     

    Imenshur le cadet s'émerveillait aussi des créations de son frère et de sa soeur. Cherchant un moyen de surprendre une fois de plus la Mère des Mères, il pensa un instant au monde qu'elle avait créé. Il remarqua alors que tout était différent, que chaque élément était unique. C'est ainsi qu'il ajouta sa touche de magie à celles de Qaletaga et Headus. De nouvelles créatures, très semblables aux premières, se mirent à se mouvoir et à vivre parmi les autres. Les uns étaient plus petits et plus massifs, tandis que les autres étaient plus fins et plus gracieux. Les Nains et les Elfes s'ajoutèrent aux Hommes de Qaletaga et de Headus. Leur propre culture vint compléter ce monde qui ne cessait de s'étendre.

    Des étoiles brillaient dans les yeux de Kosmos qui se réjouissait sans cesse des merveilles s'offrant à elle.

     

    Cependant, alors qu'elle les observait toujours avec intérêt et émerveillement, un hurlement s'éleva. Un hurlement glaçant qui l'alerta aussitôt.

    D'autres suivirent. Puis ce fut le tour des premières larmes. Des premiers coups. Des blessures et du sang. Du vol et du meurtre. De la colère noire et de la haine la plus pure.

    Les enfants de Qaletaga grandissaient. Certains gardaient leur innocence. Et d'autres en profitaient pour les tromper. Alors les innocents s'endurcissaient et commettaient à leur tour vols et meurtres. Le jeu enfantin de Kosmos se mua peu à peu en un théâtre des horreurs.

    Perdant espoir, l'aînée des trois se détourna de ce monde qui l'avait tant fascinée autrefois. La vue de toute cette décadence rendit Headus triste et malade. Seul Imenshur resta auprès de Kosmos qui courait dans chaque ville et cité pour n'y voir que le fruit de la colère. Dans le coeur du dragon couvait le désir que ses ainés se fourvoyaient.

    Mais malheureusement, ils avaient bien raison. Alors que les guerres n'éclataient que dans leur propre peuple, les différences entre Hommes, Elfes et Nains fut source de plus grands malheurs encore. Elle amena une guerre de plus, avec l'incompréhension et la peur. La haine les souda les uns aux autres face à l'étrange, face à ceux qu'ils ne comprenaient pas, face à ceux qui étaient différents. La Guerre des Mondes éclata, réunissant hommes et femmes sur le front qui opposerait ces trois grands peuples.

    Alors que la Mère des Mères allait à son tour baisser les bras et perdre courage, Imenshur se dressa devant tous, Hommes, Elfes et Nains, pour la première fois, sur leur effroyable champ de bataille. À nouveau l'effroi enserra leur coeur si facilement impressionnable. Les rangs se serrèrent, des murmures s'élevèrent de chacune des armées: les trois peuples partageaient alors la même terreur.

    Mais la voix d'Imenshur était calme, tranquille. Tant et si bien qu'une Elfe s'avança vers la gigantesque créature, sans crainte ni peur, donnant l'exemple à tous les autres. Quand le dragon parla, le silence s'abattit.

     

    "Pourquoi vous haïr ? Est-ce à cause de vos différences ? Si c'est le cas, haïssez alors chacun d'entre vous, car aucun n'est semblable à l'autre en tout point. Votre peur est compréhensible, mais elle est aussi surmontable. Vos cultures sont différentes ? Et quand bien même ! Que cela peut-il faire ? Chacun d'entre vous, que vous soyez Elfe, Nain ou Homme, ne laisserait un enfant se faire battre. Aucun d'entre vous, quelque soit son espèce, ne laisserait un vieillard agoniser seul. Tous autant que vous êtes, tous avez ressentis l'amour et l'amitié, la tendresse et l'affection. Même le coeur le plus sec a déjà battu avec ferveur pour quelqu'un. Je vous demande la joie, vos lèvres s'étirent en un sourire sincère. Je vous demande la tristesse, les larmes coulent sur vos joues. Je vous demande l'amour, votre coeur s'embale. Ce sont les véritables valeurs qui importent. Tout le reste est vain. Ne haïssez pas pour de futiles différences."

     

    La Dame Elfe s'inclina bien bas. Son armée se retira sans qu'une goutte de sang ne soit versée. Les Nains se concertèrent. Jetant un dernier regard au dragon, ils repartirent sans qu'un seul soldat ne soit blessé. Les Hommes eux, s'avancèrent, curieux qu'ils étaient. Leur chef s'agenouilla devant Imenshur, accueillant sa sagesse à bras ouverts. Le Roi Dragon était né. Et la Mère des Mères était fière. Fière de ses enfants, et fière des leurs.

     

    Malgré des années de prospérité, le bonheur fut de courte durée. Tout a une fin. Et celle-ci fut brutale.

     

    Headus fut tué pour ses écailles aussi belles que l'or, Imenshur pour sa puissance défiant malgré lui les plus grands seigneurs des hommes. Seule Qaletaga demeura aux côtés de la Mère des Mères, lui offrant ses ailes protectrices et l'entourant de son amour désabusé.

     

    "Je suis la seule. Mes frères ne sont plus. Nos propres créatures les ont massacré. Massacré, assassiné, tué, exécuté. Pourquoi ? Par folie. Par peur. Par jalousie. Par avidité. Par ignorance. Par méchanceté. Comment ? Avaient-ils déjà ça en eux ? Ou était-ce avant dans nos coeurs ? Avons-nous bien malgré nous transmis ces horreurs ? Avons-nous déjà ressenti ces émotions... ? Oui. Maintenant je les ressens. Mais avant ces tragiques incidents ? Non... Aucun souvenir de rage ou de cruauté, de sadisme ou de méchanceté ne se rappelle à moi. Nous n'avons jamais eu à avoir peur. Nous n'avons jamais eu à nous mettre en colère. Nous n'avons jamais eu à haïr. Alors est-ce eux qui nous les ont transmis ? Je suis lasse. Lasse de tout ceci. Notre jeu n'a plus aucune intérêt, mais nous ne pouvons pas l'arrêter. Son ampleur est bien trop grande pour être balayée d'un revers de magie. Nous ne pouvons leur enlever la vie parce qu'ils ont pris la nôtre. Elle ne nous appartient plus. Nous leur en avons fait cadeau. Nous ne pouvons leur reprendre. Alors que faire ? Je ne sais pas. Mes frères ne sont plus. Je suis la seule."

     

    Quand Qaletaga partit, les larmes de la Mère des Mères roulèrent sur ses joues déjà rouges de pleurs.

    Dans sa colère, elle aurait voulu tout dévaster. Détruire son oeuvre. Tout anéantir. Mais elle avait retenu son geste. Son esprit éreinté par la mort de deux de ses enfants s'était souvenu des mots du Roi Dragon:

     

    "Leur coeur est fertile. Toute émotion peut y grandir et croitre jusqu'à une taille grandiose. Autant le mépris que l'admiration. Autant la colère que la joie. Autant la haine que l'amour. Autant le mal que le bien."

     

    Alors elle se souvint aussi que ces hommes et ces femmes, ces enfants et ces vieillards étaient l'héritage de ses premiers enfants. Les détruire était devenu impensable, inimaginable.

    Mais si elle ne pouvait pas prendre leur vie, elle ne pouvait pas non plus rester parmi eux et contenir la douleur et la colère qui grandissaient en elle.

     

    C'est ainsi qu'elle délaissa le monde qu'elle avait créé, renonçant à lui et à tout ce qui la maintenait en vie. Sa magie la quitta. Elle disparut, sans vraiment cesser d'être. La Mère des Mères était toujours là, quelque part, au fond du coeur de certains élus. Le don de son âme fut le dernier cadeau de Kosmos.

     


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    Le Trésor du Dragon

    Tout dragon n'est pas cupide. Mais il en fut un particulièrement attiré par l'or et les pierres précieuses.

     

    Grand et puissant, son don pour la magie faisait bien des envieux. Pourtant, le dragon Noroi n'était pas heureux. Tous ceux de son espèce qui vivaient encore étaient parés de bleu, de rouge, de vert, d'orange, d'ivoire, de bronze, d'argent ou d'or. Leurs écailles brillaient de mille feux quand ils se prélassaient au soleil. Mais Noroi, à son grand désespoir, était d'un gris terne. Et malgré toute sa magie, il ne pouvait défaire ce que la nature lui avait donné : ses écailles restaient désespérément mornes, sans aucun éclat.

     

    Alors, pour être aussi magnifique et grandiose que ses compagnons, Noroi décida de s'habiller d'or et d'argent, de rubis et d'émeraudes, de saphirs et de diamants. Au fil des années, il amassa tant de trésors qu'il ne put tout porter. Gardant une armure étincelante pour cacher ses écailles blafardes, il se délesta au fur et à mesure de ses richesses, les dissimulant aux yeux de tous au fin fond d'une caverne, voilée par une gigantesque cascade et protégée par ses sortilèges et enchantements. Nul ne pouvait y pénétrer sans que Noroi le Flamboyant ne le sache.

     

    Mais, un jour, quatre pilleurs inconscients vinrent à lui, attirés par les contes et les légendes décrivant des montagnes et des montagnes d'or, à la seule et unique garde d'un squelette gigantesque. Oui, un squelette. Car cela faisant tant d'années que le Dragon Flamboyant n'était pas sorti de sa tanière que tous le crurent mort. Mais il n'en était rien. Plongé dans un sommeil profond, Noroi demeurait maître de ses trésors. Et lorsqu'il sentit la présence des quatre hommes, il sortit du royaume des rêves dans lequel il s'était plongé avec allégresse. Il se redressa de toute sa hauteur, sa plus grande honte enfouit sous une épaisse carapace de bijoux et d'or.

     

    Quelle ne fût pas la surprise des pilleurs lorsqu'ils firent face à la créature !

     

    Mais, au lieu de punir ces importuns comme il aurait pu aisément le faire d'une seule de ses griffes, Noroi préféra les soumettre à un jeu : le Dragon Flamboyant s'ennuyait dans sa forteresse d'argent. Les années passaient sans que rien ni personne ne vienne à sa rencontre. Pas même ses propres compagnons. Car, alors qu'il s'était profondément endormi, le Roi Dragon était mort, et la haine s'était déversée dans le cœur des hommes. Les dragons n'étaient plus respectés, ils étaient craints, et détestés. Mais ceci est une autre histoire...

     

    Les quatre hommes furent étonnés de la proposition du dragon.

     

     

     

    « Un jeu ? Mais quel sorte de jeu ? Est-ce une manière de mieux tromper notre vigilance pour ensuite nous pourfendre de l'une de tes griffes d'acier ? »

     

     

     

    Le rire de Noroi fit trembler la grotte dans laquelle il s'était retiré. Apeurés, les hommes sortirent lances et boucliers, prêts à combattre l'immense créature. Mais le Dragon Flamboyant ne leur en tint par rigueur : il savait que ces petits êtres prenaient facilement peur. De sa voix la plus douce et rassurante, il leur expliqua simplement :

     

     

     

    « Chers humains. Je suis ici depuis maintes années. Il y a bien longtemps de cela que je me suis assoupi dans cette caverne, au milieu de mes trésors. Mais en entrant ici, vous m'avez réveillé. Et je me suis alors aperçu que je mourais d'ennui. Votre présence m'enchante, et sachez que je ne vous ferai aucun mal, tant que vous ne me donnerez pas de raison de mettre fin à vos destins. Rangez vos armes, vous avez ma parole. »

     

     

     

    Après une longue hésitation, les pilleurs finirent par rengainer leurs armes et demandèrent à Noroi ce qu'il voulait. Celui-ci leur proposa un marché qui les ravirait tous. Il leur promit que la récompense serait à la hauteur de leurs espérances : une bonne réponse à l'une de ses devinettes et ils seraient gratifiés d'un coffre de pierres précieuses, d'argent et d'or.

     

     

     

    « Et si nous ne trouvons pas la juste réponse ? »

     

     

     

    « Alors vous partirez avec ce que vous aurez dûment gagné. »

     

     

     

    Les quatre hommes se concertèrent d'un rapide coup d’œil. Leur métier, si tant est qu'on puisse appeler ça un métier, exigeait réflexion et agilité d'esprit. Quelques devinettes ne devraient pas leur poser de problème. Leur chef acquiesça, et ils attendirent la première énigme.

     

     

     

    « Il est devant vous, vous le construisez sans même le savoir et de lui vous ne verrez que vos propres actions. »

     

     

     

    L'un des pilleurs trouva sans problème la réponse à la devinette : leur avenir leur tendait les bras, mais chacun d'entre eux n'en verraient que ce qu'ils en auraient fait. Comme promit, Noroi fit glisser un coffre vers les bandits, tellement rempli de richesses qu'ils pouvaient à peine le fermer.

     

    N'en croyant pas leurs yeux, les quatre hommes plongèrent avidement leurs mains dans les pièces d'or et d'argent. À peine eurent-ils goûté au trésor qu'ils en demandèrent encore.

     

     

     

    « Je peux tuer, mais également protéger. Je peux être le doux cocon d'un nouveau-né, mais également être la source d'un mal qui détruit tout ce qui peut brûler. »

     

     

     

    Le bois des armes et des boucliers, le bois du berceau et des torches enflammées. Le bois fût la réponse correcte et un nouveau coffre tout aussi plein glissa jusqu'aux hommes, qui ne pouvaient plus s'arrêter là.

     

     

     

    « Elle est l'une des plus grandes peur des êtres mortels. Elle décime les peuples, le bétail et les récoltes. Nul ne peut la prévoir, et l'arrêter n'est pas chose aisée. »

     

     

     

    Le chef des pilleurs pensa d'abord à la mort. Mais nul ne peut stopper la Grande Dame. Il réfléchit encore, sous le regard amusé de Noroi qui attendait patiemment sa réponse. Ses yeux ne trahirent aucune déception, bien au contraire, quand l'homme lui répondit : la maladie.

     

    Bien des coffres d'or arrivèrent aux pieds des pilleurs, les rendant plus riches encore que n'importe lequel des seigneurs de tous les royaumes. Le Dragon Flamboyant crut qu'ils allaient repartirent avec leur butin. Mais à son grand étonnement, ils n'en firent rien. Ils quémandèrent une nouvelle énigme. À cela Noroi répondit :

     

     

     

    « Vous êtes enseveli sous des collines d'or. Qu'allez vous faire de votre richesse ? »

     

     

     

    « Ce que nous allons en faire t'importe peu ! Et ne soit pas avare, nous voyons bien qu'il te reste des montagnes de trésors ! »

     

     

     

    Le dragon insista, curieux de savoir ce que ces quatre hommes allaient réaliser avec leurs coffres de pierreries. La créature ne pouvait pas leur reprocher d'en dépenser un grande partie, même s'il ne pouvait concevoir comment, tant la somme était grande. Lui même n'avait jamais pensé à ce qu'il pouvait en faire. C'est ce qu'il avait réalisé, confronté aux pilleurs. Son trésor n'était pour lui qu'une montagne brillante avec laquelle il pouvait cacher ses affreuses écailles. Il ne voyait en l'or qu'une matière brillante et chatoyante. De même pour toutes les pierres précieuses qui paraient son cuir. Jamais il n'avait eut la même vision des Hommes.

     

    Par les yeux d'un Nain, il ne vit que l'amour de la création et de l'art. Dans le cœur d'un Elfe, il ne ressentit que de l'indifférence. Tentant tant bien que mal de réfléchir comme un Homme, le Dragon Flamboyant finit par entrapercevoir une utilité à toutes ces richesses... Dans ses lointains souvenirs, les Rois et les Reines des Hommes étaient sages. Leur or servait le peuple, même s'ils en utilisaient une partie pour se parer tout comme lui de magnifiques toilettes.

     

    Décidant que cet or n'avait de meilleur destin que d'aider le peuple des Hommes, Noroi attendit la réponse du chef des pilleurs. Mais bien qu'il n'en eut pas encore conscience, le dragon avait scellé le destin de ces hommes...

     

     

     

    « Nous allons la boire ! La dépenser en femmes et en vêtements de soie et de fils d'or ! Nous allons acheter des terres, et des esclaves pour bâtir notre propre empire ! Et nous mettrons à genoux le Roi de nos contrées ! »

     

     

     

    Le Dragon Flamboyant ferma les yeux, déçu de cette réponse. Pourtant, il leur soumit une dernière énigme. S'ils y répondaient correctement, le dragon consentirait à les chasser sans les maudire. Par contre, s'ils se trompaient... alors il les punirait d'un sort bien pire que la mort.

     

     

     

    « J'ai tourné la tête à bien des hommes et détruit bien des royaumes. Et je serai votre perte à tous »

     

     

     

    En énonçant sa dernière énigme, Noroi avait pris une voix grave et menaçante. De longs frissons agitèrent les pilleurs qui ne comprirent pas que la dernière phrase leur était adressée.

     

    Les sens engourdis par le soif d'or, ils donnèrent le premier mot qui leur passa par la tête.

     

     

     

    « Hélas non, humains. Vous êtes dans l'erreur. »

     

     

     

    Les hommes, furieux, brandirent leurs armes, crièrent, hurlèrent à l'injustice et à la duperie, réclamèrent leur récompense. Alors Noroi se dressa devant ces êtres cupides et tonna d'une voix puissante qui fit trembler la roche :

     

     

     

    « L'avidité ! Elle vous ronge ! Vous auriez pu repartir avec votre or. Partager cette richesse avec votre famille, vos amis, vos aimées. Mais vous avez préféré me défier une nouvelle fois, osant réclamer encore plus que vous n'aviez déjà. Quelle horreur m'a transpercé le cœur quand j'ai compris que vous n'étiez que cupidité et avarice. N'avez-vous pas la moindre once de charité en vous ? Je vois bien que non. Alors je n'en aurai pas plus ! Je vous condamne à une vie éternelle, ainsi vous pourrez amasser autant de richesses que vous le voudrez. Mais jamais plus vous ne goûterez aux plaisirs simples de la vie. Jamais plus le soleil ne vous caressera sans vous brûler. Jamais plus vous ne pourrez vous remplir de mets raffinés sans encore ressentir la faim. Jamais plus vous ne pourrez aimer sans blesser. Votre baiser sera une plaie lancinante inguérissable et quiconque vous comprendra souffrira du même funeste destin qu'est le vôtre. Je vous condamne tous à une vie riche et solitaire. Maintenant, partez avec votre or et ne revenez pas, ou vous subirez mon courroux ! »

     

     

     

    D'un rugissement embrasé, le Dragon Flamboyant fit fuir les importuns. Alourdit par leur or, l'un d'eux tomba dans la rivière et se noya. Les autres s'enfuirent à toutes jambes dans la nuit tombée.

     

    Mais déjà leur corps subissait les effets de la malédiction de Noroi. Quand ils eurent soif, aucune eau ne put les désaltérer. Quand ils eurent faim, aucune nourriture ne put les rassasier. Quand le soleil se leva et qu'ils y recherchèrent un peu de chaleur, les rayons leur brûlèrent la peau. Les femmes qu'ils connurent les fuirent, et celles qui restèrent à leurs côtés périrent.

     

     

     

    Noroi le Flamboyant les avait condamné à errer, à jamais seuls dans les ténèbres de leur bêtise et de leur cupidité.

     

    Et depuis, on raconte que de sombres créatures rôdent dans la nuit, attaquant hommes, femmes et enfants s'aventurant seuls dans les bois. Le matin, leurs cadavres sont découverts, dépourvus de la moindre goutte de sang.

     

     

     

     

     

     

     


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