• Le Dragon Sanglant

     

    Le Roi Mage fou et le Dragon Sanglant

     

    Thomas Bergersen – Heart >

     

     

    Au temps jadis existait une créature fabuleuse, immensité de grandeur et de puissance. Sa chair et son sang avaient été taillés dans la magie, et rien au monde n'avait plus de pouvoirs que lui. Nommé le Roi Dragon par les premiers hommes ayant eut le privilège de le contempler, tous le respectait. Les dragons eux-mêmes lui vouaient une déférence pleine d'humilité.

    Sa taille n'avait d'égale que les montagnes et les pics de glace. Ses griffes étaient pareilles à deux hommes, et ses ailes déployées privaient de soleil des villages entiers. Ses écailles avaient la noirceur d'une nuit sans lune, mais à la lumière du soleil son cuir rougeoyait, hypnotisant les plus irrévérencieux.

    Oui, le Roi Dragon était majestueux, magnifique, puissant. Mais il était également sage. Bien plus sage que la plupart des Hommes, des Nains ou même des Elfes. Le pouvoir pouvait corrompre n'importe quelle créature, mais le Roi Dragon était au-delà de toutes bassesses. Il fut écrit que des Rois de tous les peuples vinrent lui demander conseil. Chacun d'entre eux fut avisé et tous conduisirent à la paix et à la prospérité.

    La créature aimait la vie et respectait la mort. La haine semblait ne jamais l'atteindre, pas plus que la colère. Ces sentiments lui étaient totalement étrangers. D'aucuns prétendirent que le dragon se considérait trop vieux et trop grand pour s'adonner à la rage et à la destruction.

     

    Malheureusement, toute époque a une fin. Tout être rencontre un jour ou l'autre la Mort. Et l'Ère du Roi Dragon se termina dans le sang et les larmes.

     

    Un jour funeste, le Roi vertueux et raisonnable qui gouvernait les Hommes mourut de vieillesse. Son trépas chagrina tous les peuples, mais il fallait trouver un nouveau monarque. Les regards se tournèrent vers un jeune mage, plein de bonne volonté et de courage. Sa magie était puissante et il s'en servait avec modération. Il représentait le nouveau Roi idéal, redoutable mais juste.

    Hélas, le cœur d'un homme était autrement plus corruptible que celui d'un dragon. Quand il fut assis sur le trône... toute sa simplicité et sa modestie s'évanouirent.

    Commença alors une ère nouvelle, une ère de douleur, de tristesse, tyrannie. Les peuples se déchirèrent, les Hommes se désunirent et entrèrent en guerre contre les Elfes.

    Le Roi Mage, ou le Roi de Sang et de Larmes comme ses sujets l'appelaient, fut la cible de nombreux assassins. Il s'enferma alors dans une spirale de paranoïa qui le conduisit à la folie. Dans sa démence, il crut voir un signe, un présage de mauvais augure. Il vit le Roi Dragon lui usurper le trône et drainer tout son pouvoir, toute sa magie, alors que tous savaient que la créature n'avait cure d'une couronne, et qu'il n'avait guère besoin de magie.

    Et malgré toutes les protestations, tous les soulèvements de son peuple, le Roi Mage fit lever une armée vers le Pic Céleste, demeure du Dragon.

    Désolé de voir tant de morts, tant de carnages, tant de vies innocentes brisées, le Roi Dragon se laissa transpercer, noyer par des sortilèges tous plus mortels les uns que les autres. Mais rien n'y fit. Aucune lance, si tranchante soit elle, ne réussit à pénétrer son cuir. Aucun sort, si aiguisé soit il, ne lui fit le moindre effet.

    Alors le Dragon prononça une sentence qu'il crut capable de sortir le Roi de sa folie meurtrière.

    « Mon sang et ma chair ont été taillé dans la magie par la magie. Seulement elle peut me défaire. Dix milles hommes, femmes et enfants pourront me détruire à jamais. Seules leurs vies innocentes liées à moi par la magie mettront fin à ma vie. Seuls leurs sacrifices me feront passer de vie à trépas. ».

    La créature pensait que cela suffirait à faire renoncer le Roi de Sang et de Larmes. Mais, pour la première fois de sa longue vie... il eut tort.

     

    Quand le Roi Dragon sentit qu'on liait des centaines et des centaines de vies à lui, à sa chair et à son sang, des larmes coulèrent de ses yeux de feu. En tombant sur le sol, elles se cristallisèrent peu à peu, créant alors les joyaux les plus purs de cette terre.

    Le Dragon ne fuit pas pour des terres plus clémentes, mais resta dans sa forteresse de tristesse et de désespoir, attendant que la Mort vienne à lui.

     

    Lorsque dix milles hommes, femmes et enfants furent enchaînés à lui, le Roi Mage se tint devant la majestueuse créature. Un rire dément résonna alors sur les forêts et les champs, sur les rivières et les plaines.

     

    « Tu as perdu, immonde créature ! Contemple ton maître et meurt dans la souffrance et le désespoir !»

     

    Le Roi Dragon posa son regard empli de tristesse sur le mage. Le seul regret qui flottait dans ses yeux flamboyants, était d'avoir prononcé les mots qui tueraient d'innombrables innocents. Car malgré toute sa puissance, il ne pouvait défaire ces si funestes liens. Les mages qu'on avait attaché à sa vie étaient devenus démons. Sa propre puissance avait déferlé en eux et les avait rendu fous de douleur. Dans son cœur, il ressentait toute la peine, toute la peur de ces pauvres êtres. Et dans leur mort, ils emporteraient la magie du Dragon, le réduisant alors à néant.

    Quand le Roi Dragon ouvrit sa gueule où brûlait un brasier éternel, ce ne fut pas un cri de haine qui déchira le silence, mais une voix calme, posée, aussi douce et chaude qu'une brise d'été. Pleine de pitié.

     

    « Roi Mage, tu es devenu fou. L'ivresse de la puissance et du pouvoir t'a conduit à la folie. Regarde maintenant le désastre que tu as déclenché. Ne vois-tu pas la souffrance et la guerre à tes pieds, le sang sur tes mains ? N'entends-tu pas les cris d'agonie de toutes ces nobles créatures que tu as jadis appelé frères et sœurs ? Me tuer ne pourra guérir cette terre qui sera à jamais souillée par ta colère et ta haine aveugles. Rien de bon ne découlera de mon trépas. Je ne me vengerai pas, mais sache que la nature et la magie ne laisseront pas tes crimes impunis. Puisse la Mort te faucher rapidement, Roi de Sang et de Larmes, Roi Mage fou. Que ta folie n’entraîne plus la moindre vie dans son sillage. »

     

    Une fois son dernier mot prononcé, la vie s'échappa de la plus majestueuse et sage des créatures ayant foulé cette terre. Le Roi Dragon était mort.

     

    Cependant, la légende n'est pas terminée. Pas encore. Car le Roi Dragon avait raison : la magie avait sa propre volonté et n'allait pas laisser ce meurtre odieux être accepté et oublié de tous.

     

    On dit que les dragons sortent d’œufs gigantesques, cachés au tréfonds des montagnes. Mais ces créatures magiques naissent également de la mort de l'un des leurs.

     

    Du trépas du Roi Dragon naquirent deux êtres, l'un aussi noir que les ténèbres de cette époque, l'autre aussi rouge que le sang versé des innocents.

     

    Le peu de magie qui coulait déjà dans leurs veines était déjà plus grande que celle du Roi Mage. Et la haine tapie dans leurs cœurs n'avait d'égale que leur soif de vengeance.

    Les deux créatures ailées se lièrent à des mages par le même rituel sanglant qui avait tué tant d'innocents. Mais contre toute attente, ce lien ne fit que renforcer la puissance des mages, qui gardèrent leur raison et leur conscience.

    Et forts de ce nouveau don, les mages attaquèrent la forteresse du Roi Mage. Et le tuèrent.

     

    Malheureusement, la soif de vengeance du Dragon Noir et du Dragon Rouge était loin d'être assouvie.

     

    Ils mirent les villes à feu et à sang, pour punir la lâcheté et la cruauté des Hommes. Dans leurs cœurs et jusqu'au plus profond de leurs âmes, tous étaient responsables de la mort du Roi Dragon. Ils n'avaient rien fait pour l'empêcher, ils étaient donc autant coupables que le Roi Mage fou.

     

    Après bien des années de terreur, le Dragon Noir ressentit quelque chose au fond de son cœur. De la pitié. Quand il comprit enfin l'horreur de ses actes, il s'envola loin des massacres et se terra au cœur des Pics Éternels, y emportant toute sa honte et sa peine.

    Une fois seul, le Dragon Rouge fut débordé par les ripostes des Hommes. Et quand les Elfes, qui s'étaient détournés de ce peuple de longues années auparavant, vinrent en aide aux Hommes, le Dragon Rouge s'enfuit à son tour, plein de rancœur, promettant qu'un jour il reviendrait et terminerait son œuvre.

     

    Dans leur vengeance, les dragons avaient insufflé la haine dans le cœur des Hommes. Plus jamais ces nobles créatures ne furent respectées. Plus jamais les Rois ne vinrent à eux pour écouter leurs conseils. Ils furent chassés et persécutés à leur tour. Et quiconque était lié à eux était haï et banni.

     

    Depuis cette funeste époque, le Roi Dragon, cette noble créature de magie pure, fut connue sous le nom de Dragon Sanglant. On oublia sa sagesse, on oublia son amour et son respect de la vie. Aux yeux des Hommes il n'était plus qu'un monstre vengeur au sombre héritage.

    « Alix Cordell et NayatiLa Grande Dame »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :