• La Solitude des Mondes

    La Solitude des Mondes

     

    < Lancez la musique >

    City Of The Fallen – Sky Becomes Water

     

    Il y a bien longtemps, alors que la Terre n'était qu'eau et verdure, plaines et forêts, montagnes et falaises, qu'aucun homme n'avait encore laissé son empreinte, la Mère des Mères s'ennuyait. Oh, elle n'était pas peu fière de sa création. Elle aimait profondément les merveilles auxquelles elle avait donné vie. Ses promenades dans ses belles forêts la remplissait toujours de joie. En admirer la faune lui réchauffait toujours autant le coeur. Mais peu à peu la lassitude avait envahi Kosmos, lentement, insidieusement. Personne n'était là pour regarder grandir et s'émerveiller de ce monde que sa magie avait façonné.

    Alors il lui vint une idée. Une idée qui effacerait son ennui et sa morosité. Elle rassembla sa puissance et sa magie, les grandit, les magnifia. De là naquit trois êtres grandioses, aux écailles étincelantes et chatoyantes, aux ailes magnifiques et aux yeux brillants de sagesse. Ce furent les premiers dragons que vit le monde. Son monde.

    Kosmos retrouva alors sa gaieté et sa curiosité, pouvant alors l'exprimer et la partager avec ses trois nouveaux compagnons qui l'écoutaient, découvraient à leur tour ce monde magique.

    Comme tout enfant cherche à plaire à ses parents, chacun d'entre eux, pour l'impressionner, lui firent un cadeau qui ne cesserait de l'enthousiasmer.

    À l'image de Kosmos, l'ainée des trois créa de petits êtres, aux grands yeux pétillants, qui respiraient la joie et l'innocence. Des enfants, frêles et fragiles, mais aussi purs que les neiges éternelles.

    La Mère des Mères fut surprise et touchée, riant et s'amusant de ces petites choses qui gambadaient dans son monde. C'est alors que Headus, le dernier né des dragons, s'écria:

     

    "Comment de si petits êtres peuvent-ils se défendrent contre ce monde si grand, où mille et un dangers les guettent, et que d'une chute, d'un coup de griffes ou de crocs, saisissent leur vie pour ne jamais la leur rendre ? Comment de si petites choses peuvent-elles survivre, alors qu'ils sont inconscients des risques d'une vie insouciante ? Qu'ils ne peuvent prendre le temps de songer aux dangers, trop occupés à jouer et à s'amuser ? Qaletaga, y as-tu seulement pensé ?"

     

    Ainsi virent le jour les hommes et les femmes, grands et forts, à l'intelligence accrue et aux sens aiguisés, à l'esprit plus retord et plus malin. Leur devoir était de protéger l'innocence des enfants et de les préserver du danger qu'un loup affamé pouvait représenter.

    Kosmos regarda alors avec émerveillement les Hommes prospérer et leur peuple grandir à vue d'oeil. Leur ingéniosité l'impressionnait. Jamais à court d'idées, ils ne cessaient d'attiser sa curiosité. Bientôt, des villages se construisirent. Puis des villes et d'immenses cités grandioses se dressèrent.

     

    Imenshur le cadet s'émerveillait aussi des créations de son frère et de sa soeur. Cherchant un moyen de surprendre une fois de plus la Mère des Mères, il pensa un instant au monde qu'elle avait créé. Il remarqua alors que tout était différent, que chaque élément était unique. C'est ainsi qu'il ajouta sa touche de magie à celles de Qaletaga et Headus. De nouvelles créatures, très semblables aux premières, se mirent à se mouvoir et à vivre parmi les autres. Les uns étaient plus petits et plus massifs, tandis que les autres étaient plus fins et plus gracieux. Les Nains et les Elfes s'ajoutèrent aux Hommes de Qaletaga et de Headus. Leur propre culture vint compléter ce monde qui ne cessait de s'étendre.

    Des étoiles brillaient dans les yeux de Kosmos qui se réjouissait sans cesse des merveilles s'offrant à elle.

     

    Cependant, alors qu'elle les observait toujours avec intérêt et émerveillement, un hurlement s'éleva. Un hurlement glaçant qui l'alerta aussitôt.

    D'autres suivirent. Puis ce fut le tour des premières larmes. Des premiers coups. Des blessures et du sang. Du vol et du meurtre. De la colère noire et de la haine la plus pure.

    Les enfants de Qaletaga grandissaient. Certains gardaient leur innocence. Et d'autres en profitaient pour les tromper. Alors les innocents s'endurcissaient et commettaient à leur tour vols et meurtres. Le jeu enfantin de Kosmos se mua peu à peu en un théâtre des horreurs.

    Perdant espoir, l'aînée des trois se détourna de ce monde qui l'avait tant fascinée autrefois. La vue de toute cette décadence rendit Headus triste et malade. Seul Imenshur resta auprès de Kosmos qui courait dans chaque ville et cité pour n'y voir que le fruit de la colère. Dans le coeur du dragon couvait le désir que ses ainés se fourvoyaient.

    Mais malheureusement, ils avaient bien raison. Alors que les guerres n'éclataient que dans leur propre peuple, les différences entre Hommes, Elfes et Nains fut source de plus grands malheurs encore. Elle amena une guerre de plus, avec l'incompréhension et la peur. La haine les souda les uns aux autres face à l'étrange, face à ceux qu'ils ne comprenaient pas, face à ceux qui étaient différents. La Guerre des Mondes éclata, réunissant hommes et femmes sur le front qui opposerait ces trois grands peuples.

    Alors que la Mère des Mères allait à son tour baisser les bras et perdre courage, Imenshur se dressa devant tous, Hommes, Elfes et Nains, pour la première fois, sur leur effroyable champ de bataille. À nouveau l'effroi enserra leur coeur si facilement impressionnable. Les rangs se serrèrent, des murmures s'élevèrent de chacune des armées: les trois peuples partageaient alors la même terreur.

    Mais la voix d'Imenshur était calme, tranquille. Tant et si bien qu'une Elfe s'avança vers la gigantesque créature, sans crainte ni peur, donnant l'exemple à tous les autres. Quand le dragon parla, le silence s'abattit.

     

    "Pourquoi vous haïr ? Est-ce à cause de vos différences ? Si c'est le cas, haïssez alors chacun d'entre vous, car aucun n'est semblable à l'autre en tout point. Votre peur est compréhensible, mais elle est aussi surmontable. Vos cultures sont différentes ? Et quand bien même ! Que cela peut-il faire ? Chacun d'entre vous, que vous soyez Elfe, Nain ou Homme, ne laisserait un enfant se faire battre. Aucun d'entre vous, quelque soit son espèce, ne laisserait un vieillard agoniser seul. Tous autant que vous êtes, tous avez ressentis l'amour et l'amitié, la tendresse et l'affection. Même le coeur le plus sec a déjà battu avec ferveur pour quelqu'un. Je vous demande la joie, vos lèvres s'étirent en un sourire sincère. Je vous demande la tristesse, les larmes coulent sur vos joues. Je vous demande l'amour, votre coeur s'embale. Ce sont les véritables valeurs qui importent. Tout le reste est vain. Ne haïssez pas pour de futiles différences."

     

    La Dame Elfe s'inclina bien bas. Son armée se retira sans qu'une goutte de sang ne soit versée. Les Nains se concertèrent. Jetant un dernier regard au dragon, ils repartirent sans qu'un seul soldat ne soit blessé. Les Hommes eux, s'avancèrent, curieux qu'ils étaient. Leur chef s'agenouilla devant Imenshur, accueillant sa sagesse à bras ouverts. Le Roi Dragon était né. Et la Mère des Mères était fière. Fière de ses enfants, et fière des leurs.

     

    Malgré des années de prospérité, le bonheur fut de courte durée. Tout a une fin. Et celle-ci fut brutale.

     

    Headus fut tué pour ses écailles aussi belles que l'or, Imenshur pour sa puissance défiant malgré lui les plus grands seigneurs des hommes. Seule Qaletaga demeura aux côtés de la Mère des Mères, lui offrant ses ailes protectrices et l'entourant de son amour désabusé.

     

    "Je suis la seule. Mes frères ne sont plus. Nos propres créatures les ont massacré. Massacré, assassiné, tué, exécuté. Pourquoi ? Par folie. Par peur. Par jalousie. Par avidité. Par ignorance. Par méchanceté. Comment ? Avaient-ils déjà ça en eux ? Ou était-ce avant dans nos coeurs ? Avons-nous bien malgré nous transmis ces horreurs ? Avons-nous déjà ressenti ces émotions... ? Oui. Maintenant je les ressens. Mais avant ces tragiques incidents ? Non... Aucun souvenir de rage ou de cruauté, de sadisme ou de méchanceté ne se rappelle à moi. Nous n'avons jamais eu à avoir peur. Nous n'avons jamais eu à nous mettre en colère. Nous n'avons jamais eu à haïr. Alors est-ce eux qui nous les ont transmis ? Je suis lasse. Lasse de tout ceci. Notre jeu n'a plus aucune intérêt, mais nous ne pouvons pas l'arrêter. Son ampleur est bien trop grande pour être balayée d'un revers de magie. Nous ne pouvons leur enlever la vie parce qu'ils ont pris la nôtre. Elle ne nous appartient plus. Nous leur en avons fait cadeau. Nous ne pouvons leur reprendre. Alors que faire ? Je ne sais pas. Mes frères ne sont plus. Je suis la seule."

     

    Quand Qaletaga partit, les larmes de la Mère des Mères roulèrent sur ses joues déjà rouges de pleurs.

    Dans sa colère, elle aurait voulu tout dévaster. Détruire son oeuvre. Tout anéantir. Mais elle avait retenu son geste. Son esprit éreinté par la mort de deux de ses enfants s'était souvenu des mots du Roi Dragon:

     

    "Leur coeur est fertile. Toute émotion peut y grandir et croitre jusqu'à une taille grandiose. Autant le mépris que l'admiration. Autant la colère que la joie. Autant la haine que l'amour. Autant le mal que le bien."

     

    Alors elle se souvint aussi que ces hommes et ces femmes, ces enfants et ces vieillards étaient l'héritage de ses premiers enfants. Les détruire était devenu impensable, inimaginable.

    Mais si elle ne pouvait pas prendre leur vie, elle ne pouvait pas non plus rester parmi eux et contenir la douleur et la colère qui grandissaient en elle.

     

    C'est ainsi qu'elle délaissa le monde qu'elle avait créé, renonçant à lui et à tout ce qui la maintenait en vie. Sa magie la quitta. Elle disparut, sans vraiment cesser d'être. La Mère des Mères était toujours là, quelque part, au fond du coeur de certains élus. Le don de son âme fut le dernier cadeau de Kosmos.

     

    « La Grande Dame »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :